lundi 13 mai 2024

Personnes handicapées au Conseil de l'Europe: Pour le droit à l'expression.

Le Conseil de l'Europe est une organisation différente de l'Union Européenne. Elle comprend notamment une Assemblée et une Cour de justice, qui est la Cour Européenne des Droits de l'Homme. C'est donc un recours important pour défendre les droits des personnes handicapées.

Le 27 mars 2024, s'est tenue à Strasbourg, la Conférence à haut niveau « De l'aliénation mentale ».

L'ONG norvégienne "We Shall Overcome" constituée d'usagers et survivants de la psychiatrie a été empêchée de s'exprimer et renvoyée de la Conférence où elle était pourtant invitée à présenter des notions fondamentales pour comprendre et aborder le sujet des droits des personnes.

Le Collectif "Abolir la psychiatrie forcée", constitué d'usagers et survivants francophones de la psychiatrie, témoigne sa complète solidarité avec "We Shall Overcome". Nous déplorons cet acte de censure et d'exclusion. "We Shall Overcome" est une organisation clé engagée dans la défense des droits des personnes avec handicap psychosocial. La censure est inacceptable.

Nous demandons que l'expression des vues et des arguments légaux développés par cette organisation et par toute organisation de personnes handicapées souhaitant s'y exprimer trouve sa place dans les évènements du Conseil de l'Europe, dans le respect mutuel des opinions diverses.

Cette censure est d'autant plus dommageable, et une occasion manquée de dialogue, que le texte de la Convention Européenne des Droits de l'Homme nous apparait obsolète, et rédigé dans des termes qui utilisent le langage de la discrimination et des préjugés, quand l'article 5.1.e dénie les droits des personnes supposément "aliénées", en ignorance des notions de droit des personnes handicapées et de modèle social du handicap basé sur les droits de l'homme, telles qu'elles sont définies dans la Convention ONU CDPH, et soulignées par les Directives et Observations Générales du Comité de cette Convention.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La déclaration de l'ONG "We Shall Overcome" est en anglais en suivant ce lien:
https://wso.no/2024/03/survivours-of-psychiatry-silenced-at-council-of-europe-high-level-conference/

Voici une traduction en français de la déclaration de l'ONG norvégienne. On peut aussi la télécharger en suivant ce lien.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

Strasbourg 27 mars 2024

Concernant la Conférence à haut niveau « De l'aliénation mentale » : approches conformes à la Convention pour l'exécution des arrêts concernant la détention et le traitement involontaires pour des raisons de santé mentale.

« We Shall Overcome » (WSO) est une ONG norvégienne créée en 1968 et gérée par et pour les usagers et les survivants de la psychiatrie. WSO défend les droits de l'homme des usagers et des survivants de la psychiatrie, la mise en œuvre de la CDPH des Nations unies et la fin des pratiques psychiatriques forcées et autres violations par les institutions de santé mentale. WSO travaille à la fois au niveau national et international.

« We Shall Overcome » a été invitée à s'exprimer lors de la conférence du Conseil de l'Europe sur les traitements psychiatriques forcés et la détention à Strasbourg le 27 mars 2024.

Après avoir envoyé notre présentation de la conférence aux organisateurs, on nous a d'abord demandé, la veille de la conférence, de la réécrire, puis on nous a dit de « rentrer chez nous ». Les organisateurs n'ont pas approuvé ce que nous allions dire. Nous trouvons tout à fait inacceptable d'être censurés et exclus d'une conférence sur les droits de l'homme qui nous concerne, au motif que nous faisons la promotion de nos droits pleins et égaux sans restrictions.

Dans un forum tel que le Conseil de l'Europe, nous ne pouvons accepter de restreindre ce que nous disons dans la mesure où cela compromettrait notre position et porterait atteinte à nos droits de l'homme et libertés fondamentales. Nous ne pouvons accepter que notre liberté d'expression, notre liberté de pensée, de conscience, de croyance et d'opinion soient restreintes lors d'une conférence sur les droits de l'homme, quand nous nous exprimons au nom de certaines des personnes les plus opprimées et les plus marginalisées d'Europe.

Dans une conférence comme celle-ci, il doit y avoir de la place pour souligner où nous allons et ce qui doit changer. Nous espérons que ce sera l'occasion de réfléchir, d'écouter ceux d'entre nous qui ont survécu au système psychiatrique forcé et de commencer à ouvrir une voie nouvelle et meilleure où nous n'aurons plus à craindre la coercition et l'oppression psychiatriques, mais où nous pourrons vivre avec les mêmes droits et les mêmes libertés que les autres.

Nous espérons que le Service de l'exécution des arrêts de la Cour européenne jugera utile d'entendre une pluralité de points de vue sans censure lors des prochaines réunions.

Soyez solidaires avec nous. Rien sur nous sans nous.

"We shall overcome" signifie "Nous surmonterons."


Voici la présentation qui a été annulée un jour avant la conférence.

Vous pouvez télécharger la présentation en pdf ici (en anglais).

https://wso.no/wp-content/uploads/2024/03/Strasbourg-27-March-2024_HegeOrefellen_final.pdf


Strasbourg, 27 mars 2024

« De l'aliénation mentale » :

approches conformes à la Convention pour l'exécution des arrêts

concernant la détention et le traitement involontaires pour des raisons de santé mentale


Un besoin urgent de recours et de réparations efficaces.


Hege Orefellen - "We shall overcome"


Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur ce sujet important.


1. Tout d'abord, je ferai quelques réflexions sur le thème général de la conférence


a) « De l'aliénation mentale »


L'expression « un aliéné » - A quoi cette expression est-elle associée ? Stigmatisation ? Préjugés ? Arbitraire ? Oppressions ? Comment se fait-il qu'un traité relatif aux droits de l'homme contienne encore un langage et une base de détention aussi inacceptables ?


Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que l'expression « un aliéné » est obsolète et ne peut pas être conservée. En outre, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) exige que la privation de liberté ne soit pas fondée sur le handicap. Or, la notion d'« aliénation mentale » vise les personnes souffrant de handicaps psychosociaux, ce qui conduit à une privation de liberté spécifique et discriminatoire pour ce groupe.


b) « approches conformes à la Convention pour l'exécution des arrêts »


Les approches conformes à la Convention doivent non seulement être conformes à la Convention européenne, mais aussi aux normes applicables du droit international. La CDPH, en tant que traité international le plus récent et le plus spécialisé sur les droits des personnes handicapées, juridiquement contraignant dans 191 pays, fournit des orientations faisant autorité sur les normes à appliquer. Les 46 États membres du Conseil de l'Europe et l'Union européenne sont membres états partis de la CDPH. Les États devraient mettre en œuvre la Convention européenne et la jurisprudence de la Cour de manière à ne pas enfreindre leurs obligations au titre de la CDPH.


c) « Détention et traitement involontaires pour des raisons de santé mentale »


Les personnes avec handicaps psychosociaux ont été particulièrement exposées à une législation et à des pratiques paternalistes restreignant le droit à l'autodétermination. Il s'agit notamment de la législation autorisant les traitements forcés, la détention pour des raisons de santé mentale et d'autres pratiques non consensuelles. Ces interventions violent le droit à la capacité juridique dans des conditions d'égalité, à la liberté et à la sécurité, au respect de l'intégrité physique et mentale, au consentement libre et éclairé aux procédures médicales et à l'absence de mauvais traitements. La CDPH énonce le droit de toutes les personnes handicapées à prendre leurs propres décisions et à contrôler leur propre vie sur la base de l'égalité avec les autres.


2. Deuxièmement, je commenterai les meilleures pratiques de la Cour européenne et du Conseil de l'Europe, ainsi que le potentiel de développement nécessaire.


En 2015, le juge Paulo Pinto de Albuquerque a donné une opinion dissidente progressiste et importante (en partie) à la Cour européenne sur le droit à la liberté, dans l'affaire Kuttner c. Autriche. Le juge Pinto identifie les normes internationales applicables ;


« L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement fondés sur le handicap constituent une violation de l'article 14, paragraphe 1, point b), de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.


« Les privations de liberté fondées sur l'existence d'un handicap sont intrinsèquement discriminatoires. Les régimes de détention qui, par leurs propres termes, sont discriminatoires sur la base du handicap constituent une détention arbitraire. La détention involontaire de personnes handicapées fondée sur des présomptions de risque ou de dangerosité liées à des étiquettes de handicap est contraire au droit à la liberté ».


Le juge Pinto conclut qu'il est maintenant grand temps d'agir et de réformer le cadre juridique et institutionnel déficient conformément aux obligations internationales de l'État.


En 2019, dans l'arrêt de Grande Chambre Rooman c. Belgique, la Cour considère que « l'article 5, tel qu'il est actuellement interprété, ne contient pas d'interdiction de la détention pour cause de déficience ». Cela ouvre la voie à une évolution nécessaire. L'abandon du modèle médical du handicap et l'alignement sur la CDPH modifieront l'« interprétation actuelle ». L'article 5 devrait être interprété comme contenant une interdiction de la détention fondée sur la déficience, considérant cette détention comme illégale, arbitraire et discriminatoire.


Dans l'affaire Rooman c. Belgique (2019) et dans l'affaire M.B. c. Pologne (2021), la Cour reconnaît les normes de la CDPH et cite les lignes directrices relatives à l'article 14 de la CDPH et à son interdiction absolue de la détention fondée sur la déficience ou l'état de santé.


En 2019, un développement significatif signalant les prémices d'un changement de paradigme au sein du Conseil de l'Europe a été pris par l'Assemblée parlementaire avec l'adoption unanime d'une Résolution qui appelle les Etats membres à mettre fin à la coercition dans le domaine de la santé mentale et à entamer immédiatement la transition vers l'abolition des pratiques coercitives (...).


En 2021, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a résumé sa position dans un commentaire sur les droits de l'homme et a fait une intervention inédite dans l'affaire Clipea et Iapara c. la République de Moldova. L'affaire concerne des allégations de mauvais traitements infligés à des personnes souffrant de handicaps psychosociaux dans un hôpital psychiatrique.


Dans l'amicus à la Cour, le Commissaire aux droits de l'homme déclare que les Commissaires successifs ont constamment souligné que l'institutionnalisation et la coercition dans les services de santé mentale étaient une source persistante de violations des droits de l'homme et ont exhorté les États membres à éliminer ces pratiques en faveur de services de santé mentale communautaires fondés sur le consentement. Le Commissaire plaide pour l'élimination du placement et du traitement involontaires, de l'isolement et de la contention.


Le Comité de la CDPH ne reconnaît aucune exception à l'interdiction absolue du traitement forcé, y compris pour des motifs tels que le « risque de préjudice pour soi-même » ou le « danger pour autrui ». Le Commissaire souligne le fait que d'autres acteurs clés au niveau des Nations Unies approuvent et soutiennent la même approche, notamment le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées et le Rapporteur spécial sur le droit à la santé. Ces experts ont souligné que « l'admission forcée dans les institutions médicales et les traitements coercitifs dans les institutions auront des effets néfastes tels que la douleur, le traumatisme, l'humiliation, la honte, la stigmatisation et la peur pour les personnes avec des handicaps psychosociaux ».


Le Commissaire aux droits de l'homme considère que la conception traditionnelle selon laquelle le traitement forcé et la coercition sont inévitables en « dernier recours », à condition qu'un certain nombre de garanties juridiques entourent ces mesures, n'est plus tenable.


3. Troisièmement, je parlerai de la nécessité urgente de mettre en place des recours et des réparations efficaces


De graves violations des droits de l'homme sont commises dans les établissements de santé mentale. La privation de liberté peut en soi être préjudiciable. La détention à durée indéterminée est particulièrement dure et couramment pratiquée à l'encontre des personnes avec des handicaps psychosociaux. Les pratiques médicales violentes telles que les électrochocs forcés, les médications forcées, la contention et l'isolement ne constituent pas une aide ni des soins, et n'ont pas non plus de but légitime. Elles constituent des pratiques discriminatoires et préjudiciables qui peuvent causer des douleurs sévères et des souffrances intenses, ainsi qu'une peur et un traumatisme profonds chez les victimes. Ces interventions psychiatriques forcées répondent à la définition internationale de la torture et peuvent causer des dommages irréparables à la vie et à la santé.


Dans un rapport présenté en 2020, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que : « il faut souligner que des objectifs prétendument bienveillants ne peuvent, en soi, justifier des mesures coercitives ou discriminatoires. Par exemple, des pratiques telles que l'intervention psychiatrique [...] involontaire fondée sur la « nécessité médicale » ou l'« intérêt supérieur » du patient, impliquent généralement des tentatives hautement discriminatoires et coercitives de contrôler ou de « corriger » la personnalité, le comportement ou les choix de la victime et infligent presque toujours une douleur sévère ou des souffrances aiguës. De l'avis du rapporteur spécial, si tous les autres éléments de définition sont réunis, ces pratiques peuvent donc bien être assimilées à de la torture.


Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe considère que le recours à la coercition en psychiatrie, y compris l'utilisation de moyens de contention mécaniques ou chimiques, l'enfermement, l'isolement et la médication forcée, devrait toujours être considéré comme atteignant le niveau minimum de gravité pour entrer dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention européenne, compte tenu de la peur intense, de l'angoisse, du sentiment d'impuissance, de la perte de dignité et d'autres souffrances mentales qu'ils provoquent invariablement. Le Commissaire déclare que les personnes souffrant de handicaps psychosociaux subissent régulièrement certaines des violations des droits de l'homme les plus flagrantes sur notre continent, y compris des violations de l'article 3.


Il est urgent de reconnaître la gravité des préjudices et des souffrances infligés aux victimes, et que cette connaissance et cette prise de conscience soient mises en œuvre dans tous les systèmes judiciaires. Ces interventions forcées, qui comportent toujours un facteur de discrimination fondée sur le handicap, doivent être reconnues comme des mauvais traitements et être abolies. Compte tenu des violations graves et systématiques des droits de l'homme, il est urgent d'offrir aux victimes des recours et des réparations efficaces. Mais il y a des obstacles ;


Nous connaissons le cadre des droits de l'homme concernant la torture et les autres mauvais traitements : l'interdiction absolue, l'obligation pour les États de protéger contre la torture, l'obligation d'enquêter sur les allégations et de donner réparation aux victimes. Mais lorsque les mauvais traitements sont perpétrés au nom d'un traitement médical, autorisé par la législation nationale et appliqué par le droit national, il n'y a pas de véritable protection ni d'accès à la justice. Les recours nationaux sont systématiquement défaillants et il est peu probable qu'ils apportent une aide efficace. Il n'y a pas de réparation pour les victimes, ni de responsabilité pour les auteurs. Les mauvais traitements restent impunis. Nous sommes réduits à l'impuissance entre les mains de professionnels de la santé qui ont reçu le pouvoir de nous priver de nos droits humains fondamentaux. Telle est la situation à laquelle les survivants de la psychiatrie forcée sont confrontés en Europe aujourd'hui.


Selon les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme, adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 60/147 (2005), la réparation comprend cinq formes de réparation : la restitution, l'indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition. Toutes ces formes sont d'une grande importance pour les victimes de mauvais traitements dans le système de santé mentale.


La restitution, une forme de réparation visant à rétablir la situation de la victime avant que la violation ne soit commise, doit comprendre le rétablissement de la liberté, l'absence de traitement forcé, la jouissance de la vie familiale et de la citoyenneté, le retour au lieu de résidence et le rétablissement de l'emploi.


Une indemnisation doit être prévue pour tout dommage économiquement évaluable, tel que les dommages physiques ou mentaux, les occasions perdues, y compris en matière d'emploi et d'éducation, les dommages matériels et le manque à gagner, le préjudice moral et les coûts liés à l'assistance juridique, aux services médicaux et aux services sociaux.


La réadaptation des victimes de la psychiatrie forcée devrait viser à rétablir, dans la mesure du possible, leur indépendance, leurs capacités physiques, mentales, sociales et professionnelles, ainsi que leur pleine inclusion et participation à la société.


La satisfaction doit inclure des mesures efficaces visant à faire cesser les violations ; la vérification des faits et la divulgation publique de la vérité ; une déclaration officielle ou une décision judiciaire rétablissant les droits de la victime ; des sanctions à l'encontre des personnes responsables des violations ; une enquête et des poursuites pénales, des excuses publiques, y compris la reconnaissance des faits et l'acceptation de la responsabilité.


Le droit à la vérité est particulièrement important pour les victimes de la psychiatrie forcée, où des mauvais traitements ont été infligés pendant si longtemps et à si grande échelle sous le couvert d'un traitement médical. Nous avons besoin de vérité sur ce qui nous est arrivé, de vérité sur les conséquences, de reconnaissance publique et d'excuses, comme première étape d'un processus de réintégration sociale, de justice et de guérison. Étant donné que les pratiques coercitives en matière de santé mentale représentent des formes de violence à l'encontre des personnes avec des handicaps psychosociaux et autres, il est nécessaire d'obtenir des réparations à un niveau collectif aussi bien qu'individuel. Les États parties devraient élaborer des procédures de réparation pour toutes les victimes d'interventions psychiatriques forcées.


Les garanties de non-répétition doivent inclure des mesures de lutte contre l'impunité, de prévention des actes futurs, ainsi que la révision et la réforme des lois contribuant à ces violations ou les autorisant. Les États parties doivent reconnaître l'obligation immédiate de mettre fin aux mauvais traitements infligés dans le cadre d'interventions psychiatriques forcées, prendre les mesures nécessaires pour abroger la législation qui autorise le traitement psychiatrique forcé et la détention, et élaborer des lois et des politiques qui remplacent les régimes coercitifs par des services qui respectent pleinement l'autonomie, la volonté et l'égalité des droits des personnes handicapées.


Des ressources précieuses sur les réparations peuvent être trouvées dans les lignes directrices du Comité de la CDPH sur la désinstitutionnalisation et dans l'article de Tina Minkowitz sur la désinstitutionnalisation en tant que justice réparatrice.


4. Enfin, je dirai quelques mots sur la voie à suivre et sur la manière dont les principes de non-discrimination et les normes de la CDPH peuvent, et doivent, nous guider dans tout le travail de mise en œuvre


La voie à suivre ne peut être occupée par des réformes superficielles qui ne s'attaquent pas au problème central de la discrimination fondée sur le handicap et de la médicalisation des handicaps psychosociaux. Il n'est pas nécessaire de consacrer plus de temps et de réflexion à la « précision et à la nuance » dans des questions telles que la « signification de l'aliénation mentale », les exigences des « options les moins restrictives », le « dernier recours » ou la « garantie dans les différentes formes de contrainte ».


Les droits de l'homme dans ce domaine ne sont pas des droits limités dans le cadre d'un modèle médical paternaliste. Il ne s'agit pas d'interventions forcées assorties de garanties d'une procédure régulière et de garanties contre les abus dans les processus. Il s'agit de droits pleins et égaux dans un cadre de droits de l'homme, où tous les traitements et services de santé mentale doivent être fondés sur le consentement libre et éclairé de la personne concernée.


La voie à suivre passe par des changements fondamentaux et des solutions réelles et significatives. Il s'agit de lutter contre la discrimination et d'abroger les dispositions législatives discriminatoires. Il s'agit de mettre fin aux violations actuelles et de réparer les erreurs passées.


La Convention européenne est un instrument vivant qui doit s'aligner sur les normes internationales en matière de droits de l'homme. Cela nécessitera un changement fondamental d'approche dans ces affaires, mais la Cour peut y parvenir et l'a déjà fait par le passé. La Cour a toujours souligné que la Convention doit être interprétée à la lumière de l'évolution de la société, ce qui signifie qu'elle a modifié et ajusté sa pratique dans divers domaines du droit.


Les droits des personnes LGBT+ sont l'un des domaines qui ont connu une évolution significative dans la jurisprudence de la Cour. Depuis 1986, date à laquelle les États se sont vu accorder une grande marge d'appréciation dans l'affaire Rees c. Royaume-Uni, la Cour a envisagé de s'écarter des principes antérieurs en 1990 et 1992 dans les affaires Cossey c. Royaume-Uni et B c. France, elle a ouvert la voie à des changements futurs en 1998 en soulignant « l'acceptation sociale croissante » et « la reconnaissance accrue du problème » dans les affaires Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, puis elle s'est finalement écartée de sa jurisprudence antérieure en 2002 dans l'affaire Goodwin c. Royaume-Uni. Dans cet arrêt, la Cour attache moins d'importance à l'absence de preuves d'une approche européenne commune qu'aux preuves claires et incontestées d'une tendance internationale continue en faveur d'une acceptation sociale et d'une reconnaissance juridique accrues.


Nous avons vu dans de précédents arrêts novateurs que la Cour européenne peut s'écarter de ses doctrines juridiques et de sa jurisprudence antérieure lorsque cela est nécessaire pour garantir que les droits deviennent effectifs et non illusoires, pour refléter les évolutions de la société et pour garantir les droits des groupes marginalisés et vulnérables. Nous attendons une décision de la Grande Chambre qui s'écartera fondamentalement de la jurisprudence antérieure sur la psychiatrie forcée, afin de garantir l'égalité et la plénitude des droits des personnes avec des handicaps psychosociaux en Europe.


La CDPH remet en question des traditions juridiques séculaires. Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a donné des directives importantes sur la manière d'aller de l'avant et souligne qu'une lecture des articles pertinents de la Convention européenne reflétant l'évolution fondamentale des attitudes au niveau mondial apparait nécessaire et qu'une telle évolution serait pleinement conforme à la jurisprudence établie de la Cour.


Cette année, qui marque le 75e anniversaire du Conseil de l'Europe, est l'occasion de réaliser des progrès significatifs dans la protection des droits de l'homme des personnes avec handicap psychosocial. Il faut aller de l'avant avec la synergie de la Cour, des autres parties prenantes du Conseil de l'Europe, des INDH et surtout avec la participation des personnes avec handicaps psychosociaux, des survivants de la psychiatrie forcée et de leurs organisations. Dans le processus de mise en œuvre, les États et le Conseil de l'Europe devraient s'appuyer sur l'expertise des OPH, des organes compétents des Nations unies et du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, pour obtenir une assistance technique et des conseils. La formation des professionnels du droit et des magistrats est cruciale. Le changement de paradigme nécessitera l'initiation de changements fondamentaux de la législation et de la jurisprudence nationales, ainsi que la mise en place de mécanismes de réparation. Des transformations considérables qui peuvent sembler écrasantes et impossibles, mais qui sont nécessaires de toute urgence, réalisables et pour lesquelles il vaut la peine de se battre.


Je vous remercie.


« Cela semble toujours impossible jusqu'à ce que ce soit fait » - Nelson Mandela


« Un autre monde n'est pas seulement possible, il est en route. Par temps calme, je peux l'entendre respirer » - Arundhati Roy



mercredi 13 mars 2024

Selon Peter Gotzsche, la prescription de médicaments psychiatriques aux enfants est un crime contre l'humanité

Peter Gotzsche est professeur de médecine interne au Danemark.

Pour lui, la prescription de médicaments psychiatriques aux enfants est un crime contre l'humanité.

Voilà une traduction de sa vidéo pour les auteurs du film "Medicating normal".

- Les jeunes cerveaux en développement, on ne leur donnerait ni alcool, ni cocaïne, ni drogue illicite: les parents ne feraient pas cela.

Alors au nom de quoi leur donne-t-on des médicaments psychiatriques? A combien d'enfants fait-on cela?
Certains médicaments pour le TDAH, ce sont des amphétamines. Si vous avez une prescription pour cela, tout va bien. Si vous l'achetez dans la rue, c'est illégal. Cela n'a pas de sens.

Les médicaments psychiatriques sont généralement nocifs pour le cerveau des enfants.
Et les bénéfices sont en réalité, tout à fait douteux.
Si vous me demandez mon avis, on ne devrait pas donner de médicaments psychiatriques aux enfants: cela empire les choses quand nous faisons cela. Cela irait mieux si nous ne les traitions pas.

Quand nous donnons ces médicaments à un grand nombre d'enfants, nous faisons du mal aux enfants à une échelle énorme.

Et ce qui est triste, quand ces enfants ressentent les effets indésirables des médicaments, ils peuvent recevoir un autre diagnostic, et d'autres médicaments. Typiquement, on leur dit que, maintenant, ils ont un trouble bipolaire. Et le psychiatre dira aux parents: "Oh, c'est une bonne chose que la Ritaline ait révélé un trouble bipolaire qui n'était pas apparent. Nous n'aurions pas détecté cela sans ce médicament."

Vraiment, une telle pratique, c'est horrible.

Si un patient qui est sans logis se présente et qu'il est en crise de psychose à cause de la consommation, par exemple, de cocaïne, de LSD, de cannabis, vous ne lui dites pas: "Oh, c'est super que vous ayez pris ce cannabis, parce que maintenant je sais que vous êtes schizophrène." On ne fait pas cela. On ne fait pas ce diagnostic. On attend quelques jours que la personne ne soit plus sous l'influence du produit pour voir si elle reprend ses esprits.

Cela devrait être illégal de poser un diagnostic psychiatrique supplémentaire chez une personne dont le cerveau est déjà sous l'influence d'un produit comme l'alcool, le LSD, une amphétamine, ou un médicament psychiatrique, quelqu'il soit.

On ne doit pas faire cela.

Liens:

La vidéo de Peter Gotzsche pour "medicating normal" (en anglais):
https://youtu.be/LQx4waMijd8

Etude HCFEA, France: la prévalence de consommation en population pédiatrique entre 2010 et 2021 a augmenté de 35 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques ; de 179 % pour les antidépresseurs, de 114 % pour les antipsychotiques ; et de 148 % pour les psychostimulants.
https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/la_hcfea_sme_synthesecourte.pdf

Et aussi pour aller plus loin, voilà le site de l'institut pour la liberté scientifique créé par Peter Gotzsche (en anglais).
https://www.scientificfreedom.dk/



dimanche 3 décembre 2023

La coercition psychiatrique en France, intervention devant le VIe congrès de l'association italienne radicale « Droits à la folie »

Du 1 au 3 décembre 2023, s'est tenu le VIe congrès de l'association italienne radicale « Droits à la folie » (Diritti alla Folia), à Rome.

L'intervention du Collectif "Arrêt des Traitements Forcés" a porté sur la coercition psychiatrique en France. Le lien est sur Facebook, l'intervention est en 29:54 (en anglais). https://fb.watch/oHCx0BMbAJ/

La journée était riche des présentations d'Olga Kalina, Présidente d'ENUSP, sur la mise en œuvre de la Convention CDPH au niveau européen, et d'Annemarie Arnold, qui a parlé depuis l'Allemagne de son vécu de la coercition en poésie.

Dans une deuxième partie consacrée aux Directives sur la désinstitutionalisation (CRPD/C/5), Amalia Gamio, vice-présidente du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, coprésidente du groupe de travail sur la désinstitutionnalisation, nous a présenté ce document et comment l'utiliser. Puis, Tina Minkowitz, Présidente du Centre pour les droits humains des usagers et survivants de la psychiatrie (CHRUSP), à parlé des Directives dans la perspective de la justice réparatrice. Dorothy Gould, fondatrice de "Liberation", Royaume-Uni à distance, a décrit sa perception des éléments clés de ces Directives.

 

Présentation de Luc Thibaud (version française).

Je suis un ex-usager de la psychiatrie. J'ai créé le Collectif francophone « Arrêt traitements forcés » en 2013. Le Collectif a rejoint la Campagne du CHRUSP pour l'interdiction absolue de l'internement et des traitements forcés en 2016. Le Collectif a soumis plusieurs rapports concernant la France au Comité ONU de la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH) et au Comité de la Convention sur les Droits de l'Enfant (CDE).

Je souhaite parler de la coercition psychiatrique en France. Mais d’abord, comment définir la coercition psychiatrique ?

La psychiatrie revendique l'utilisation des dispositifs du corps médical pour aborder les questions psychosociales. Ce sont le diagnostic, les traitements, les indications, le pronostic, la prévention. La psychiatrie opère dans le cadre juridique de la médecine, et cela inclut le contrat liant un médecin, son patient et le système d'assurance, et cela peut impliquer des politiques communautaires. Dans de nombreux pays, la psychiatrie revendique des pouvoirs d'expertise judiciaire et de recours à la force, voire le droit de prendre des mesures de dépistage et de prévention. Dans plusieurs pays, les dossiers psychiatriques peuvent être utilisés de la même manière que les casiers judiciaires.

En tant que telle, la psychiatrie pourrait être considérée comme une médicalisation des demandes psychosociales. Les sociologues ont publié sur la médicalisation. Cependant, dans son livre de 2007, « La médicalisation de la société » [1], Peter Conrad s'est abstenu de faire le tri entre ce qui est médicalement pertinent et ce qui ne l'est pas. Toute plainte adressée à un médecin comporte deux éléments : d'abord, une personne désignée est censée être à l'origine du problème. C’est tout à fait erroné lorsqu’il y a un conflit entre différentes parties et que ce conflit se trouve occulté par l’instrumentalisation de la médecine contre l’une des parties impliquées. Deuxièmement, cette personne est supposée souffrir d’un trouble médicalement pertinent. Dans de nombreux cas, c’est abusif et un acte de foi. Par exemple, une pédagogie inadaptée à un enfant crée un triple conflit entre l’enseignant, les parents et l’enfant. Le médecin ne doit pas adopter le point de vue de l'enseignant et des parents et blâmer l'enfant, en utilisant l'autorité médicale pour étiqueter et droguer l'enfant de manière nocive, mais plutôt suggérer que la pédagogie soit adaptée à l'enfant. Dans un autre exemple, la psychiatrie forcée a été utilisée dans des affaires de divorce pour discréditer une personne soumise au stress du conflit.

En pratique, les questions psychosociales pourraient également être abordées par la défense des droits de l'homme, ce qui implique d'examiner comment chaque droit de l'homme décrit dans la CDPH est respecté pour la personne considérée; ce sont en particulier la sécurité, le logement, l'argent, l'accès aux soins médicaux et dentaires, l'absence de coercition psychiatrique, l'accès à la justice, la liberté, la non-discrimination. D'autres approches sont la désescalade, la résolution des conflits, le soutien communautaire et la justice réparatrice. Je pense que le cadre de la médecine implique l'utilisation de la perspective médicale et des moyens médicaux: cela signifie une approche décontextualisée, et l'utilisation des médicaments altérant le fonctionnement du cerveau, en premier. En France, le médecin est tenu à "obligation de moyens", et cela interfère négativement avec les offres alternatives de nature psychologiques, dialogiques, corporelles, spirituelles, artistiques, les arts martiaux ou d'autres approches de bien-être.

Je propose de considérer que la coercition psychiatrique se produit chaque fois que les dispositifs médicaux de diagnostic, de traitement, d'indication, de pronostic et de prévention sont appliqués sans le consentement éclairé de l'adulte, à tout moment. Dans le cas de l'enfant, à chaque fois que l'enfant n'est pas informé dans des termes appropriés à son âge et à sa maturité, à chaque fois que sa volonté et ses préférences n'ont pas été recherchées, ou que celles-ci n'ont pas été respectées, et ceci, à tout moment. J'assimilerais également la pratique consistant à imposer une consultation, une expertise ou une étiquette psychiatrique contre la volonté de la personne à un acte de coercition.

Je pense que le consentement éclairé devrait inclure des informations détaillées sur les risques de dépendance aux médicaments pharmaceutiques et sur les procédures de sevrage, et cela inclut un plan de sevrage. Le fait de ne pas fournir une aide appropriée au sevrage constitue également un acte de coercition. La nature et l'incertitude des dispositifs médicaux de diagnostic et de pronostic appliqués aux problèmes psychosociaux doivent être expliquées, et si l'étiquette proposée est un construit psychosocial, si elle possède une valeur causale ou biologique démontrée, et si elle a été confirmée par des tests biologiques effectués sur la personne elle-même. À mon avis, la personne concernée, adulte ou enfant, devrait avoir le choix de refuser à tout moment une telle étiquette psychiatrique et de faire effacer de telles mentions de son dossier médical.

Je souhaite parler maintenant de la France, où la coercition psychiatrique est pratiquée à grande échelle.
En 2021, 95 000 personnes ont fait l'objet d'une décision juridique de psychiatrie forcée [2].
78 000 ont été hospitalisées de force à temps plein.
39 000 ont été en soins communautaires forcés.
24 000 ont été placées en chambre d'isolement.
On ne sait pas combien ont été placées en contention physique ni combien ont été mis en sédation lourde.
107 000 enfants et 159 000 adultes avec handicap ont été en institution, ainsi que 614 000 personnes âgées [3].
L'usage des médicaments psychiatriques sur les enfants s'est fortement accru dans la décade écoulée [4].
En 2020, 730 000 personnes connaissaient des systèmes de prise de décision substitutive [5].

En dépit des recommandations de la Rapporteure Spéciale Catalina Devandas après sa visite en France en 2017 (Rapport A/HRC/40/54/Add.1 en 2019), et du Comité de la CDPH dans ses Observations finales de 2021 (CRPD/C/FRA/CO/1), la sensibilisation à la CDPH est faible en France, mais la pression monte lentement et nous gardons espoir pour l'avenir.

J'aimerais parler de choses positives pour conclure cette intervention:
Les traumatismes psychologiques sont enseignés en France, et des centres se sont ouverts.
Des expériences de l'approche finlandaise "Open Dialogue" sont menées dans plusieurs villes de France.
Des expériences de remboursement de certaines psychothérapies sont menées.
Les Groupes d'entraide mutuelle [6] et la participation des pair-aidants se développent et sont financés.
Le réseau des entendeurs de voix français est très actif [7].

Références
  1. Peter Conrad, 2007, “The medicalization of society, on the transformation of human conditions into treatable disorders”, the Johns Hopkins University Press.
  2. Etude IRDES 2022
    https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/269-les-soins-sans-consentement-et-les-pratiques-privatives-de-liberte-en-psychiatrie.pdf
  3. Statistiques du CNSA
    https://www.cnsa.fr/documentation/cnsa_chiffres_cles_2022_access_exe_corrige-071022.pdf
  4. Etude du HCFEA
    https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/la_hcfea_sme_synthesecourte.pdf
  5. Statistiques du sénat
    https://www.senat.fr/rap/l19-140-329/l19-140-3297.html
  6. Les Groupes d'Entraide Mutuelle (GEM)
    https://www.psycom.org/sorienter/les-groupes-dentraide-mutuelle/
  7. Le Réseau français des entendeurs de voix
    https://revfrance.org/
 
 


 

jeudi 5 octobre 2023

Psychiatrie forcée: le déni de la réalité par le gouvernement français

Analyse par Luc Thibaud.

Le déni de la réalité est une forme de non-sens: cela conduit à agir de façon inappropriée, et cela aboutit à l'échec et à l'abaissement.

Le 20 Août 2021, le délégué ministériel à la psychiatrie, s'exprimant à l'ONU dans le cadre de l'examen de la France par le comité de la Convention CDPH, nous a offert une parfaite illustration du déni de la réalité tel qu'il est pratiqué par sa corporation, par le gouvernement et par les lois même de santé mentale en France. C'est en 59:20, là: https://media.un.org/en/asset/k14/k14eaz3csx


Extrait:

"En réponse à la question portant sur l'article 14, 'Quand la France prévoit-elle l'abolition des hospitalisations sous contrainte ?' la délégation française souhaite apporter plusieurs éléments de réponse, et préciser des notions issues du droit français.
D'abord, il n'existe pas, juridiquement, en France, d'hospitalisation sous contrainte. Il existe des soins sans consentement, ce qui est très différent.
En effet, dans le droit français, aucun soin n'est possible sans le consentement éclairé de la personne.
Aussi ce n'est pas le refus de la personne qui fonde la démarche de soins sans consentement, ce qui serait alors de la contrainte, et c'est interdit en France, ce qui fonde la démarche, c'est la nécessité de soins urgents, auxquels une personne est dans l'incapacité temporaire de consentir, du fait de l'altération de son discernement, consécutif à des troubles psychiques. Et cela renvoie au droit fondamental de préservation de la santé. Ceci exclut donc et c'est très important, les situations non urgentes et les situations de handicap psychosocial stabilisé, chez lesquelles le recours aux soins sans consentement sont interdits. La procédure de soins sans consentement doit rester l'exception..."


Notre analyse

"Il n'existe pas..." Le déni de la réalité est brutal: aujourd'hui en France, les personnes sont arrêtées violemment avec la police et les chiens, les menottes, et quelquefois une cohorte de médecins, de pompiers, de policiers, avec humiliations publiques et dégâts. Les motifs sont arbitraires, disproportionnés: par exemple une expression de mal-être au téléphone, une plainte de voisinage, un syndrome de sevrage de médicaments. Les médications sont forcées et pratiquées sous la menace de contention et isolement. Le traumatisme est immense [Priebe 1998]. Les "programmes de soins" sont réalisés sous la menace de ré-hospitalisation et de nouveaux traumatismes: la haute autorité de santé, en complet non-sens, ose appeler cette forme d'intimidation violente une "relation thérapeutique" dans son guide sur la pratique.

"L'incapacité temporaire de consentir" ne l'est pas, mais simplement la personne refuse les propositions de médicalisation violente des demandes psychosociales la concernant. Ce n'est pas une incapacité, mais le vol de son agentivité par la pathologisation de la personne dans le cadre de la psychiatrisation, et le refus des aménagements nécessaires aux situations de conflit, de stress et de perte des moyens de la personne. Ce n'est pas temporaire mais c'est, en réalité, une dégradation sociale faite de privation de la capacité juridique et de fichage [HOPSYWEB]. Cela suppose de briser la volonté de la personne afin qu'elle consente, au moins en apparence, et cela passe par la conversion, c'est-à-dire l'adhésion au processus de pathologisation, et la sombre comédie obligatoire du mieux-aller sous intoxication et sédation médicamenteuse forcée. La date de sortie n'est pas connue. C'est dire que cette conversion s'obtient au moyen d'un procédé qui, selon nous, remplit les critères de la torture [Minkowitz 2015].

Ce n'est pas la "nécessité de soins urgents". La torture n'est pas un soin. La prétention à la nécessité repose sur le monopole médical revendiqué pour aborder les demandes psychosociales, et sur la négation des approches non-médicales.

"L'altération du discernement, consécutif à des troubles psychiques" est une projection pathologisante qui signifie en clair que le praticien et la personne n'ont pas la même opinion sur l'approche à mettre en œuvre face à la demande psychosociale la concernant. En psychanalyse, on parlerait de contre-transfert négatif. Les "troubles psychiques" représentent dans ce procédé la pathologisation de la psyché de la personne dont l'opinion est différente de celle du médecin. C'est l'instrumentalisation de la médecine destinée à nier l'agentivité de la personne.

Le délégué invoque "la préservation de la santé." On ne préserve pas la santé en traumatisant une personne par des tortures infligées au moyen de produits neurotoxiques qui donnent des mouvements anormaux et de l'akathisie, qui rétrécissent son cerveau, qui créent des dépendances lourdes, qui réduisent son espérance de vie, et de procédures qui mettent sa vie en danger comme la contention. On ne préserve pas la santé en endoctrinant sans preuve la personne et ses proches dans l'idée désespérante d'une maladie constitutionnelle qui nécessiterait une intoxication médicamenteuse à vie, ni en l'intronisant dans une forme de sous-citoyenneté infantilisée. Les hospitalisations forcées se traduisent par des suicides, dans des proportions extrêmes [Hjorthøj 2014]. La santé est un bien-être qui suppose en premier lieu le respect des droits de la personne, et non son viol par le déni de la capacité juridique et les tortures médicalisées.

"Ceci exclut ... les situations non-urgentes et les situations de handicap psychosocial stabilisé"

"Les situations non-urgentes": l'urgence n'existe pas dans les programmes de soins. Elle n'existe pas non plus après quelques jours d'hospitalisation, mais dans ces deux cas, la violence médicale se poursuit.

"Les situations de handicap psychosocial stabilisé": l'expression est un non-sens. On ne "stabilise" pas un handicap, car le handicap est la conséquence des empêchements sociaux, mais plutôt on garantit les droits humains d'une personne avec handicap, en changeant la société si c'est nécessaire: c'est le modèle social du handicap [Guide CDPH, p.10]. La "stabilisation des symptômes" est un concept lié à la médicalisation des demandes par la camisole chimique, et une telle approche n'est ni unique ni obligatoire. Elle viole les droits de la personne, car l'information correcte sur les alternatives n'est généralement pas fournie, et le consentement a pu être obtenu par la non-information, la désinformation, la torture, la menace et les intimidations.

"La procédure de soins sans consentement doit rester l'exception": La procédure judiciaire concernait 78401 personnes en 2021 en France [Coldefy 2022]: ce n'est donc pas une exception. Mais le principe du consentement libre et éclairé est violé à une échelle bien plus grande. Diverses formes de maltraitance médicale sont pratiquées dans les établissements médico-sociaux dans une quasi-complète opacité: en particulier la privation de liberté et le droguage. Les enfants en institution et hors institution sont victimes de maltraitances médicales à grande échelle: droguage, stigmatisation, ségrégation. L'information nécessaire au consentement éclairé n'est quasiment jamais fournie: la médicalisation des demandes psychosociales se pare d'une vitrine prolifique constituée pour une large part de présupposés, de postulats et de théories auxquels chacun est libre d'adhérer ou non, mais la pathologisation a priori des pensées, des ressentis et des comportements des personnes n'a pas prouvé sa pertinence [Rajkumar 2013]. Les conséquences des procédures mises en œuvre, comme l'électrocution cérébrale et les intoxications médicamenteuses chronicisées appelées chimiothérapies, les dépendances fabriquées, les modifications neuronales [Chouinard 2017] et les lésions induites, les procédures de sevrage médicamenteux et leur difficulté ne sont pas correctement présentées. La nature psychosociale des demandes, les choix possibles et les alternatives non-médicamenteuses sont rarement présentés.

 

Conclusion

La médicalisation et la judiciarisation des crises psychosociales traumatisent les personnes, fabriquent et entretiennent le handicap dans la chronicité. Au lieu de cela, pratiquer la désescalade, assister les personnes dans la défense de leurs droits humains (définis par la Convention CDPH), résoudre les conflits éventuels dans lesquels elles sont impliquées, et leur offrir un soutien communautaire dans la diversité des cultures [Minkowitz 2021].

 

Notre pétition :

Nous demandons la mise en œuvre des lignes directrices pour la désinstitutionalisation (CRPD/C/5), l'arrêt immédiat de toutes les formes de psychiatrie forcée, et la mise en œuvre des réparations pour violations graves et flagrantes des droits des personnes, adultes et enfants.



Références:

  1. Evaluation de la France le 20 août 2021 par le comité des droits des personnes handicapées de l'ONU.
    https://media.un.org/en/asset/k14/k14eaz3csx
  2. La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) de l'ONU.
    https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ConventionRightsPersonsWithDisabilities.aspx
  3. Le guide de la convention. Réf. HR/P/PT/19.
    https://digitallibrary.un.org/record/417493?ln=en
  4. Haute Autorité de Santé. Programme de soins psychiatriques sans consentement. Mise en oeuvre. Outil d'amélioration des pratiques professionnelles. 2021.
    https://www.has-sante.fr/jcms/p_3260568/fr/programme-de-soins-psychiatriques-sans-consentement 
  5. Priebe, Stefan & Bröker, Matthias & Gunkel, Stefan. (1998). Involuntary admission and posttraumatic stress disorder in schizophrenia patients. Comprehensive psychiatry. 39. 220-4. 10.1016/S0010-440X(98)90064-5.
    https://www.researchgate.net/publication/13608566_Involuntary_admission_and_posttraumatic_stress_disorder_in_schizophrenia_patients
  6. Hjorthøj CR, Madsen T, Agerbo E, Nordentoft M. Risk of suicide according to level of psychiatric treatment: a nationwide nested case-control study. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2014 Sep;49(9):1357-65. doi: 10.1007/s00127-014-0860-x. Epub 2014 Mar 18. PMID: 24647741.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24647741/
  7. Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie: un objectif de réduction qui reste à atteindre. M Coldefy, C Gandré, S Rallo - Questions d'économie de la santé, 2022.
    https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/269-les-soins-sans-consentement-et-les-pratiques-privatives-de-liberte-en-psychiatrie.pdf
  8. Rajkumar AP, Brinda EM, Duba AS, Thangadurai P, Jacob KS. National suicide rates and mental health system indicators: an ecological study of 191 countries. Int J Law Psychiatry. 2013 Sep-Dec;36(5-6):339-42. doi: 10.1016/j.ijlp.2013.06.004. Epub 2013 Jul 17. PMID: 23870280.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23870280/
  9. Chouinard G, Samaha AN, Chouinard VA, Peretti CS, Kanahara N, Takase M, Iyo M. Antipsychotic-Induced Dopamine Supersensitivity Psychosis: Pharmacology, Criteria, and Therapy. Psychother Psychosom. 2017;86(4):189-219. doi: 10.1159/000477313. Epub 2017 Jun 24. PMID: 28647739.
    https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28647739/
  10. Tina Minkowitz. Forced Psychiatry is Torture. Mad In America, 2015.
    https://www.madinamerica.com/2015/04/forced-psychiatry-torture/
  11. Décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement. Légifrance.
    https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036936873
  12. Lignes directrices pour la désinstitutionnalisation, y compris dans les situations d’urgence. CRPD/C/5.
    https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRPD/C/5
  13. Minkowitz Tina, Reimagining Crisis Support: Matrix, Roadmap and Policy. 2021. ISBN 978-1-7377370-0-1
    https://www.reimaginingcrisissupport.org/
  14. Notre pétition.
    https://www.change.org/p/abolir-l-hospitalisation-forc%C3%A9e-et-le-traitement-forc%C3%A9

lundi 28 août 2023

Anniversaire des lignes directrices sur la désinstitutionalisation (CRPD/C/5)

Le 18 août 2023, le Comité des droits des personnes handicapées a célébré le premier anniversaire de ses Lignes directrices pour la désinstitutionalisation (CRPD/C/5) en tenant trois tables rondes thématiques.

Le compte-rendu en français de cet anniversaire est disponible sur le site du Haut Commissaire aux droits de l'homme, en suivant ce lien.

La vidéo de la réunion est à visionner là.

A l'ONU, les personnes elles-mêmes sont invitées à s'exprimer. 💗

L'intervention sur les réparations de Tina Minkowitz pour le CHRUSP est à 1:28:55.

Elle rappelle comment les médications forcées sont une forme de torture qui a été décrite en 1986 par le premier rapporteur spécial sur la torture, Pieter Kooijmans, réf. E-CN_4-1986-15, §119. Une notion développée par Manfred Nowak en 2008, réf. A/63/175, puis par Juan E. Méndez en 2013, réf. A/HRC/22/53 §34-35. Son article de 2013 sur Mad in America développe ceci (traduit en français avec le menu déroulant en haut à droite).

Les lignes directrices sont disponibles en français.

Nous devons partager ces informations, parce que les gouvernements français successifs violent la convention à large échelle, et le gouvernement actuel ne fait rien pour nous aider.

Nous pensons que les documents de l'ONU, droits de l'enfant, droits des personnes handicapées, doivent être connus de tous les professionnels concernés. Nous pensons que les droits humains des personnes handicapées et des enfants doivent être enseignés, ceci afin de changer les mentalités dans notre pays.


Des réactions:

Handinews
https://www.handinews.info/lonu-met-en-lumiere-les-abus-de-linstitutionnalisation-en-france

CFHE:
https://www.cfhe.org/lignes-directrices-sur-la-desinstitutionalisation/

Handicap.fr
https://informations.handicap.fr/a-ONU-handicap-desinstitutionnalisation-33599.php


lundi 31 juillet 2023

CRA en France, CPR en Italie, on y meurt.

Deux morts suspectes dans les centres de rétention administrative (CRA) en France.

Le 26 mai 2023, un homme est décédé au CRA de Vincennes dans des circonstances suspectes. Cet homme diabétique a reçu des coups en réponse à ses demandes de soins. La défenseure des droits s'est saisie. Article Politis [1].

Le 3 juillet 2023, au CRA de Marseille, une autre personne retenue a perdu la vie. Les circonstances de cette mort restent également indéterminées. Article A bas les CRA [2].

Autre refus de soins et conditions de vie dégradantes, au CRA du Mesnil-Amelot. Article A bas les CRA [3].


Mort suspecte de Moustapha Fannane en Italie, morts de jeunes.

Le 19 décembre 2022 à Rome, Moustapha Fannane, né en 1984, originaire de la ville marocaine de Fqih Ben Salah, est décédé. C'est une nouvelle mort suspecte liée aux psychotropes administrés dans les centres de rapatriement en Italie. Ces abus sont documentés [4], les médicaments sont donnés, non pour motif médical, mais pour "assommer" les personnes détenues dans ces centres.

Moustapha est arrivé en Italie en 2007, et pendant sept ans il a pu travailler de façon régulière afin d'aider sa famille au Maroc. Puis, il perd son emploi, et son logement, et se retrouve à la rue. En 2019, il est détenu pendant six mois dans les centres permanents de rapatriement (CPR) de Rome et de Turin. En août 2022, il est de nouveau arrêté et ramené au CPR. En bonne santé, à l'arrivée au centre, il reçoit des doses de Valium quotidiennes, se plaint d'avoir le visage gonflé de façon inexpliquée, et d'autres personnes le décriront comme shooté, apathique, pâle. Trois mois après, Moustapha est libéré, sans suivi. Il sera retrouvé inconscient dans la rue et mourra à l'hôpital Vannini trois semaines après sa sortie du CPR. Article Il Cappellaio Matto (en français) [5]. Article Observatorio repressione [6]. Article Gruppo Melitea [7]. 

Une procédure a été ouverte auprès du parquet de Rome pour la mort de Moustapha. Pour nous, ses droits humains ont été violés, en particulier le droit au logement et à l'aide sociale. Nous demandons que la clarté soit faite sur les circonstances et les causes de la mort de Moustapha Fannane.

Dans une autre affaire, le 28 novembre 2021, un jeune de 26 ans, en bonne santé, meurt dans le service psychiatrique de l'hôpital San Camillo à Rome, où il a été transféré après un séjour en CPR. Article FTDES [8]. Une autre mort de jeune en CPR en 2021 dans cet article de Roya Citoyenne: déni de soins après des blessures graves, maquillage en suicide [9].

Quels recours?

La Cimade [10] est une ONG française compétente qui peut visiter les CRA.

En France, la CGLPL [11] est en charge des visites de contrôle.

En France, la Défenseure des droits [12].


Références:

  1. CRA de Vincennes, article Politis
    https://www.politis.fr/articles/2023/06/mort-au-cra-de-vincennes-des-temoignages-contredisent-la-version-officielle/
  2. CRA de Marseille, article A bas les CRA
    https://abaslescra.noblogs.org/mort-dun-retenu-lors-dune-revolte-au-cra-de-marseille/#more-3706
  3. CRA du Mesnil Amelot
    https://abaslescra.noblogs.org/si-on-navait-pas-crie-si-on-avait-pas-dit-aux-flics-vous-etes-deja-filmes-on-a-des-preuves-il-aurait-passe-la-nuit-en-isolement/#more-3716
  4. Les usages de psychotropes dans les centres de rapatriement en Italie
    https://altreconomia.it/rinchiusi-e-sedati-labuso-quotidiano-di-psicofarmaci-nei-cpr-italiani/
  5. Il Cappellaio Matto
    https://www.ilcappellaiomatto.org/2023/07/moustafa-fannane-une-autre-victime-du.html?m=1 

  6. Article Observatorio repressione
    https://www.osservatoriorepressione.info/ombre-dubbi-sulla-morte-moustafa-fannane/
  7. Article Gruppo Melitea
    https://gruppomelitea.wordpress.com/2023/07/20/alcune-vite-sono-sacrificabili-di-s-j/#more-5493
  8. FTDES, Justice pour Wissem Ben Abdellatif
    https://ftdes.net/justice-pour-wissem-ben-abdellatif-une-mort-suspecte-au-sein-des-systemes-daccueil-italiens/
  9. Article Roya citoyenne
    https://www.roya-citoyenne.fr/2021/05/assassinat-du-jeune-moussa-balde/
  10. La CIMADE
    https://www.lacimade.org/
  11. La CGLPL
    https://www.cglpl.fr/
  12. La Défenseure des Droits
    https://www.defenseurdesdroits.fr/


dimanche 4 juin 2023

Pourquoi il faut arrêter les programmes de soins.

En France, en 2021, 95473 personnes étaient en "soins sans consentement", et 39244 en "programme de soins" [1]. Ajoutez ce qui est pratiqué dans les ESMS dans l'opacité et les enfants dont on ne demande pas l'avis. Ces personnes sont placées sous chimiothérapie lourde contre leur volonté. Pourquoi arrêter ces pratiques, par Luc Thibaud.


- 1 Parce que ce ne sont pas des soins.

La meilleure réponse prouvée à la crise psychosociale dite "psychose" n'est pas l'approche médicamenteuse lourde et l'hospitalisation mais l'approche finlandaise "Open Dialogue", et de très loin [2].

Les sédatifs légers (benzodiazépines) sont meilleurs que les neuroleptiques dans la gestion de la crise [3].

Les thérapies cognitives constituent une bonne alternative aux approches médicamenteuses [4].

Les personnes guéries favorisent aussi les approches nutritionnelles, psycho-corporelles, et de résolution des traumatismes passés, connus ou oubliés.

Pour les survivants de la psychiatrie comme Tina Minkowitz, le soutien en cas de crise devrait être communautaire, démédicalisé et déjudiciarisé [5].

Pratiquer la santé mentale, c'est, en premier, le travail de défendre les droits humains de la personne. C'est aussi le devoir de chacun.

La crise est une occasion de prise de conscience, de communication, de changement, de s'engager dans un travail sur soi, de guérison et de progrès, à condition que la personne ne soit pas désignée comme "le problème" à éliminer ou "la maladie" à combattre. Le changement ne concerne pas seulement la personne elle-même mais aussi son entourage et quelquefois la société toute entière.

En réalité, l'approche médicamenteuse lourde n'est pas un soin, mais une camisole chimique. Cela n'agit pas directement sur la "psychose" [6], ni sur les hallucinations, mais cela empêche de penser, de mémoriser, et d'accorder du plaisir à quoi que ce soit. La personne est privée de ses moyens. Elle est le plus souvent empêchée de résoudre la crise par le dialogue. Une personne peut choisir cette approche pour elle-même, si elle a été bien informée de toutes les conséquences, et des alternatives, mais cela ne doit pas être contraint et cela doit rester souple. En revanche, ces produits sont beaucoup trop toxiques pour être prescrits aux enfants.

Une crise est un épisode qui ne doit pas durer. Mais le programme de soins n'est pas un traitement de courte durée. Un examen psychiatrique évalue le médicament, pas la personne. Alors le médecin, par défaut, se base sur les essais truqués des laboratoires et sur des concepts non validés qui sont calqués au pifomètre sur la personne [7]. On ne remet pas en cause un "diagnostic" psychiatrique. Je mets des guillemets à diagnostic car ce n'est pas une enquête causale le plus souvent, mais un ensemble de tiroirs de la demande de médicalisation des difficultés psychosociales des personnes, et de leur entourage. Le sevrage des neuroleptiques est difficile à mener, et à réussir. Le confort des soignants et de l'entourage est donc de médiquer sans limitation de durée: mais c'est contraire à l'intérêt de la personne, et cela la détruit lentement. Avec les programmes de soins, on transforme l'épisode de crise en invalidité sur le très long terme.

Les études de long terme ont démontré que le traitement neuroleptique prolongé était nuisible à la personne et empêchait les guérisons spontanées [8][9].

Les produits utilisés sont extrêmement nuisibles à la santé, en particulier sur le long terme. Le système nerveux est endommagé: dyskinésies tardives, hypertonies, insuffisances cérébrales. Perturbations endocriniennes, obésité, diabète, troubles cardiaques, espérance de vie réduite.

Les produits utilisés induisent assez vite des dépendances lourdes. Pour la plupart des personnes, les syndromes de sevrage sont longs et éprouvants, à la fois physiques et psychologiques. Le sevrage se fait par paliers de baisse exponentielle des doses, cela peut durer des mois. Le cerveau s'adapte au produit, il a été démontré que cette adaptation pouvait persister des mois après le sevrage des produits, sous la forme d'une psychose d'adaptation aux neuroleptiques [10]. Les psychiatres qualifient de "rechute" toute crise qui suit une réduction des doses ou un arrêt des produits. Le terme scientifique n'est pas "rechute" mais syndrome de sevrage.


- 2 Parce que cela réalise une torture.

Le traitement forcé aux neuroleptiques est pratiqué aujourdhui dans les geôles où sont torturés les opposants politiques en Iran [11].

L'akathisie [12] induite par les neuroleptiques est associée aux pensées suicidaires, aux violences, aux suicides [7]. C'est un élément de cette torture aux neuroleptiques, en même temps que la constipation, la rétention d'urine, et tous les troubles neurologiques induits par ces produits.

Les programmes de soins en France sont basés sur la menace et l'intimidation. Ils incitent à traumatiser et à re-traumatiser les personnes par des arrestations, quelquefois violentes, avec la police, les chiens, et par des séjours dans des établissements caractérisés par les humiliations, la non-communication, les punitions de contention et isolement, et les traitements forcés. On ne sort de ces enfers qu'en jouant la comédie de la stabilisation sous traitement: c'est le témoignage de mes correspondants.

Les personnes sont gravement traumatisées par ce système [13]. Beaucoup se suicident à la suite d'une hospitalisation forcée [14].

La justice en France n'est d'aucune aide: absence de contradictoire, non-indépendance vis à vis du pouvoir médical [15]. Le choix du praticien, qui est un droit constitutionnel, n'est pas effectif. Le choix de l'approche n'existe pas non plus. Les documents médicaux reposent sur des arguments stupides ou circulaires: "Vous ne consentez pas, c'est donc la preuve que vous êtes dans l'incapacité de consentir". Et des tautologies: "Vous rejetez le diagnostic, c'est un signe qui confirme le diagnostic." Et aucune preuve scientifique n'est jamais fournie.

L'information sur les différentes approches possibles, pharmacologiques ou psychosociales, leurs effets indésirables, leur durée, leur modalité de fin, l'évaluation de leur efficacité, ne sont généralement pas fournis, ni même envisagés [16].


- 3 Parce que l'ONU et l'OMS l'interdisent.

La Convention CDPH interdit explicitement les traitements forcés aux paragraphes E. et F. des Directives sur l'article 14, adoptées par le Comité CDPH à sa quatorzième session du 17 août au 4 septembre 2015 [17].

L'OMS propose des outils de transformation des pratiques ainsi que des formations [18].


Courrier au Président français Emmanuel Macron.

Pétition.

Luc Thibaud est ex-usager, auteur, psychopraticien.
Membre d'ENUSP, du REV-France.


Références:

  1. IRDES, 2022 “Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie : un objectif de réduction qui reste à atteindre” Magali Coldefy (Irdes), Coralie Gandré (Irdes, Hôpital universitaire Robert-Debré), avec la collaboration de Stéphanie Rallo (ARS Paca) https://www.irdes.fr/donnees/269-les-soins-sans-consentement-et-les-pratiques-privatives-de-liberte-en-psychiatrie.xls

  2. Bergström T, Seikkula J, Alakare B, Mäki P, Köngäs-Saviaro P, Taskila JJ et al. "The family-oriented Open Dialogue approach in the treatment of first-episode psychosis: nineteen-year outcomes." Psychiatry Res. 2018;270:168-75. doi: 10.1016/j.psychres.2018.09.039.

  3. Dold M, Li C, Tardy M, Khorsand V, Gillies D, Leucht S. "Benzodiazepines for schizophrenia." Cochrane Database Syst Rev. 2012 Nov 14;11(11):CD006391. doi: 10.1002/14651858.CD006391.pub2. PMID: 23152236; PMCID: PMC7052813.

  4. Morrison AP, Turkington D, Pyle M, Spencer H, Brabban A, Dunn G, Christodoulides T, Dudley R, Chapman N, Callcott P, Grace T, Lumley V, Drage L, Tully S, Irving K, Cummings A, Byrne R, Davies LM, Hutton P. "Cognitive therapy for people with schizophrenia spectrum disorders not taking antipsychotic drugs: a single-blind randomised controlled trial." Lancet. 2014 Apr 19;383(9926):1395-403. doi: 10.1016/S0140-6736(13)62246-1. Epub 2014 Feb 6. PMID: 24508320.

  5. Tina Minkowitz, "Reimagining Crisis Support: Matrix, Roadmap and Policy", 2021. https://www.reimaginingcrisissupport.org/

  6. Shona M Francey and others, "Psychosocial Intervention With or Without Antipsychotic Medication for First-Episode Psychosis: A Randomized Noninferiority Clinical Trial", Schizophrenia Bulletin Open, Volume 1, Issue 1, January 2020, sgaa015, https://doi.org/10.1093/schizbullopen/sgaa015

  7. Peter C Gøtzsche, "Critical psychiatry textbook", 2022
    https://www.scientificfreedom.dk/books/

  8. M. Harrow*, T. H. Jobe and R. N. Faul. "Does treatment of schizophrenia with antipsychotic
    medications eliminate or reduce psychosis? A 20-year multi-follow-up study"
    Psychological Medicine, Page 1 of 10. © Cambridge University Press 2014
    doi:10.1017/S0033291714000610
    https://www.mentalhealthexcellence.org/wp-content/uploads/2013/08/HarrowJobePsychMedMarch2014.pdf

  9. Wunderink L, Nieboer RM, Wiersma D, Sytema S, Nienhuis FJ. "Recovery in Remitted First-Episode Psychosis at 7 Years of Follow-up of an Early Dose Reduction/Discontinuation or Maintenance Treatment Strategy: Long-term Follow-up of a 2-Year Randomized Clinical Trial." JAMA Psychiatry. 2013;70(9):913–920. doi:10.1001/jamapsychiatry.2013.19
    http://archpsyc.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1707650

  10. Chouinard G, Samaha A, -N, Chouinard V, -A, Peretti C, -S, Kanahara N, Takase M, Iyo M (2017). "Antipsychotic-Induced Dopamine Supersensitivity Psychosis: Pharmacology, Criteria, and Therapy". Psychother Psychosom 2017;86:189-219. doi: 10.1159/000477313
    https://www.karger.com/Article/FullText/477313
     
  11. Torture aux neuroleptiques des opposants politiques en Iran.
    https://iranwire.com/en/features/67428/

  12. Akathisie aux neuroleptiques.
    RxISK Medical Team, 2016, "What is akathisia?"
    http://rxisk.org/akathisia/

  13. Priebe, Stefan & Bröker, Matthias & Gunkel, Stefan. (1998). "Involuntary admission and posttraumatic stress disorder in schizophrenia patients." Comprehensive psychiatry. 39. 220-4. 10.1016/S0010-440X(98)90064-5.

  14. Hjorthøj CR, Madsen T, Agerbo E, Nordentoft M. "Risk of suicide according to level of psychiatric treatment: a nationwide nested case-control study". Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2014 Sep;49(9):1357-65. doi: 10.1007/s00127-014-0860-x. Epub 2014 Mar 18. PMID: 24647741.

  15. Cour de Cassation, arrêt n°16-22.544 du 27 septembre 2017, 6ème.
    https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035681676?isSuggest=true

  16. John Read, "The experiences of 585 people when they tried to withdraw from antipsychotic drugs,
    Addictive Behaviors Reports", Volume 15, 2022, 100421, ISSN 2352-8532,
    https://doi.org/10.1016/j.abrep.2022.100421.
     
  17. ONU CDPH, "Directives sur l'article 14". Réf: A/72/55.
    https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=A/72/55&Lang=en

  18. WHO: "QualityRights materials for training, guidance and transformation."
    https://www.who.int/publications/i/item/who-qualityrights-guidance-and-training-tools